LES ENCHAÎNÉS

Alicia, fille d'un espion nazi, mène une vie dépravée. Devlin lui propose de travailler pour les États-Unis afin de réhabiliter son nom. Elle épouse donc un ancien ami de son père afin de l'espionner. Devlin et elle s'aiment sans oser se l'avouer, attendant chacun que l'autre fasse le premier pas. 

 

 

Réalisation : Alfred Hitchcock

Scénario : Ben Hecht

Photographie : Ted Tetzlaff

Musique : Roy Webb

Durée : 101 minutes

Production : Alfred Hitchcock

Date de sortie : 1946

Genre : Suspense

 

 

Ingrid Bergman : Alicia Huberman, Cary Grant : T.R. Devlin, Claude Rains : Alexander Sebastian, Louis Calhern : Paul Prescott

 

Plus connu pour ses talents de narrateur que pour son engagement humanitaire, ALFRED HITCHCOCK a pourtant très clairement affiché son hostilité au régime nazi dès le début des années 40.
De CORRESPONDANT 17 (1940) à CINQUIÈME COLONNE (1942), en passant par le documentaire MEMORY OF THE CAMPS (1945), le réalisateur n'a eu de cesse de pointer du doigt les prémices, puis les résultants d'une idéologie basée sur la destruction. Son apport fut, sinon décisif, du moins important dans la prise de conscience des populations européennes et américaines.

Sorti en 1946, LES ENCHAÎNES marque la dernière étape de l'ère "militante"' du cinéaste, qui profite de la fin de la guerre pour s'adonner à un nouvel exercice de style passionnant. Prétexte à un énième MacGuffin ("Au studio, nous appelons ça le MacGuffin. C'est l'élément moteur qui apparaît dans n'importe quel scénario" dixit Hitchcock), le nazisme perd de sa valeur malfaisante (après tout, la guerre est finie depuis quelques mois) pour devenir le substrat d'un film d'espionnage matinée de romance. À moins que ce ne soit l'inverse.

Toujours est-il qu'Hitchcock a l'art et la manière de combiner des ingrédients souvent dissonants de manière à les rendre prisonniers l'un de l'autre. Ou plutôt enchaînés l'un à l'autre. En clair, l'affaire d'espionnage n'a d'intérêt que parce qu'elle permet aux trois personnages principaux de s'y livrer à une joute amoureuse frémissante.
Les comédiens sont sans exception aucune fascinants. Impériale dans la peau d'une jeune femme compensant son manque d'amour par une accumulation de conquêtes sans lendemain, INGRID BERGMAN (ALICIA HUBERMAN) parcourt la pellicule avec une élégance et une émotion cristallines, effleurant les objets (inoubliable scène où elle s'empare d'un trousseau pour y subtiliser une clé source de tous les fantasmes) et les cœurs avec une grâce infinie.
Face à la beauté brune, CARY GRANT (T.R. DEVLIN) confirme qu'il ne sera pas qu'un feu de paille dans la grande histoire du cinéma hitchcockien (l'acteur avait déjà été confronté au réalisateur sur le tournage de SOUPÇONS). Campant avec autorité un personnage tiraillé entre sa fierté et son amour pour une "dévergondée", la star impose son charisme velouté au gré de regards fuyants et de gestes désapprobateurs. La sophistication de son jeu n'a d'égale que celle de l'immense CLAUDE RAINS (ALEXANDER SEBASTIAN), comédien pénétrant qui injecte un maximum d'émotion à un ex-nazi romantique prêt à tout pour séduire l'être aimée... quitte à se montrer un peu trop imprudent.

Jouant sur le double tableau du marivaudage et de l'espionnage, Les Enchaînés est l'œuvre d'un perfectionniste dont la finesse de la direction d'acteur et le timing dramatique viennent d'atteindre un nouveau sommet. Un sommet du haut duquel Alfred Hitchcock contemple sa seule et unique proie : le spectateur, témoin privilégié d'une spirale de sentiments enfiévrés et de sévices corporels.

 

★★★★★

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